Vision Aveugle, de Peter Watts : un livre qui vaut le coup d’oeil.

Vision Aveugle (Blindsight, en VO) a été publié il y a plus de dix ans maintenant.

De prime abord, il ne paie pas de mine.

Vous pouvez en juger par vous-même à la quatrième de couverture :

« La Terre a été prise  » en photo  » de l’espace. Les mystérieux visiteurs sont-ils sur cet artefact découvert dans notre système solaire ? Le vaisseau Thésée part en mission. A son bord, cinq membres d’équipage recrutés avec soin : une linguiste aux personnalités multiples, un biologiste qui s’interface aux machines, une militaire pacifiste et un observateur, Siri Keeton, capable de déchiffrer à la perfection le langage corporel de ses interlocuteurs. Leur commandant est lui aussi bien étrange : c’est un homo vampiris, autrement dit, un vampire aux facultés intellectuelles remarquables.

Pourtant, malgré leurs aptitudes exceptionnelles, rien ne peut les préparer à ce qu’ils vont découvrir lors de ce voyage terrifiant… « 

Il y a de quoi être sceptique. Une espèce de schizophrène, un câblé, un militaire pacifiste, un « observateur » et…un vampire.

Pourtant, je tiens à le dire d’emblée : il s’agit d’une excellente oeuvre de hard SF.

L’intrigue, en soi, ne paie pas de mine : la Terre est « prise en photo » par un ensemble de sondes, de toute évidence d’origine extraterrestre. Une grande inquiétude s’ensuit : pourquoi diable une entité extraterrestre perdrait-elle son temps à parcourir d’immenses distances pour cartographier la Terre? Simple safari? Vues belliqueuses? Personne n’en sait rien.

Une équipe est constituée, et envoyée sur les traces de ces extraterrestres bien indiscrets aux confins de notre système solaire.

Je vais éviter de vous raconter les détails de l’intrigue, pour éviter tout spoil. En substance, voici ce qu’il vous faut retenir : il s’agit d’une oeuvre originale, stimulante, déroutante.

Originale, cette oeuvre l’est par sa démarche. Il s’agit d’une oeuvre de hard SF qui se singularise par l’angle choisi. Fort classiquement, la hard SF met l’accent sur la physique, l’ingénierie, un peu moins souvent sur l’informatique. On est bien loin de ces domaines ici : Peter Watts a préféré mettre l’accent sur la neurobiologie, la linguistique, la psychologie, la biologie, choix original qui donne une véritable saveur à ce livre.  J’attire d’ailleurs votre attention sur le fait que même le titre de ce livre renvoie à la neurologie.

Stimulant, ce roman l’est par le thème traité et le choix des personnages. Le thème traité, il faut bien l’admettre, n’a rien d’extrêmement innovant : c’est celui du « premier contact » avec une entité extraterrestre. Pourtant, par l’originalité et la rigueur de l’approche, Peter Watts parvient à dévoiler toute la profondeur d’un tel événement : comment communiquer avec une « intelligence » extraterrestre? Comment, même, réussir à déterminer s’il s’agit, à proprement parler, d’une « intelligence »?

L’abîme des questions soulevées par un premier contact est mis en perspective par l’auteur grâce (notamment) à l’introduction des vampires, créatures défuntes du Pléistocène ressuscitées grâce à l’archéogénétique. Bien loin des romans de midinettes, nous restons ici dans le domaine de la hard SF la plus pure : vous trouverez même, en fin d’ouvrage, une annexe relative à des explications scientifiques relatives à l’homo vampiris.

Nous nous situons donc à un double niveau : communication avec « l’Autre » extraterrestre, radicalement différent ; communication avec « l’Autre », humain ou quasi-humain. Dans les deux cas, les mêmes difficultés, les mêmes peurs, la même incompréhension radicale. Pour tout vous dire, fort souvent au cours de ma lecture, j’ai pu repenser à l’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau, d’Oliver Sacks, un neurologue qui décrit ici 24 cas cliniques fascinants de personnes percevant le monde d’une façon radicalement différente.

Déroutant, enfin, cet ouvrage l’est par son écriture et le parti-pris. L’écriture, que ce soit en anglais ou en français, est limpide. Le problème est ailleurs : vous n’aurez, ici, aucune explication détaillée quant à la technologie employée, au contexte quotidien. Soyez prévenu et ne vous laissez pas rebuter.

Le parti-pris, quant à lui, vous mettra sans doute mal à l’aise. Le thème de la conscience de soi, sujet qui passionne de toute évidence Peter Watts, est abordé de façon fort pessimiste : loin d’être la preuve de la supériorité de l’être humain, il ne s’agirait que d’un accident de l’évolution, fort dispendieux en énergie, inutile du point de vue de la survie voire même de l’intelligence.

En résumé : un roman complexe, fascinant, cruel, intelligent, que je vous recommande chaudement.

Pour aller plus loin :

L’Epaule d’Orion

Albédo

Les Chroniques du Chroniqueur