Bonjour à tous,
Vous en avez marre de l’espace? Vous voulez explorer d’autres contrées, moins arpentées par nos pionniers des mondes imaginaires? J’ai peut-être ce qu’il vous faut dans ma besace.
Starfish est un roman de Peter Watts, un auteur que j’apprécie fortement -ce qui ne sera une surprise pour personne puisque je l’ai déjà évoqué dans mon article sur Vision Aveugle ou sur le recueil de nouvelles Au-delà du Gouffre-. Il s’agit du premier roman de la trilogie Rifteurs.
Alors, Starfish, qu’est-ce que c’est? Niveau ambiance, c’est un mélange entre un thriller horrifique et un roman de hard-SF. Vous allez suivre Lenie Clarke, une demoiselle dépêchée au fond de l’Océan Pacifique pour assurer l’entretien d’une sorte de station électrique géothermale située sur le plancher océanique, à quelques 3000 mètres de profondeur.
Ici, vous trouverez des ténèbres éternelles. Une pression écrasante. Des créatures difformes, qui rôdent et attendent leur heure. La solitude, loin du tumulte de la surface.
Autre détail, qui n’est pas totalement anodin à mon sens : Starfish est, à ma connaissance, le premier roman publié de Peter Watts (en 1999, donc), roman qui est lui-même la prolongation d’une de ses premières nouvelles (une Niche, donc, que vous pouvez retrouver en français dans l’excellent recueil de nouvelles publié aux Editions Le Bélial’ : Au-delà du Gouffre).

Tenté? Parfait. C’est par ici.
La Terre. Un avenir pas si lointain. Les nations existent encore. Mais les multinationales, plus que jamais, ont une importance considérable parmi les décisions façonnant le monde.
Le monde va mal. Crise des réfugiés. Changement climatique. Problème d’approvisionnement en énergie. Bien sûr, même les puissants de ce monde ne peuvent tout faire. Mais ils ont, au moins, une petite idée pour résoudre le petit souci de la production d’énergie : voler l’immense énergie latente contenue dans les failles océaniques, là où les plaques continentales se bloquent, se frictionnent.
L’idée, c’est donc de bâtir des stations géothermiques à 3000 mètres de profondeur afin d’exploiter cette énergie latente. Mais voilà, il faut des gens pour les entretenir. On envoie donc, par 3000 mètres de fond, des gens. Le genre de personnes à supporter la solitude, le stress, les ténèbres. Avec des poissons des profondeurs inhabituellement gros. Affamés, en permanence. Tout le monde n’est pas fait pour ce genre d’environnements.
C’est là le décor du roman : une petite station de maintenance, la station Beebe, située non loin de la plaque Juan de Fuca, un rift débordant d’énergie géothermique et de vie étrange.
Je ne vous dirai rien sur l’histoire : ce serait vous gâcher le plaisir de la découverte. Je tiens, toutefois, à vous parler rapidement de ce qui m’a plu dans ce roman, que je recommande aux amoureux de la hard-SF, mais aussi de romans sombres.
Une galerie de personnages fascinants
S’agissant d’une forme de huis-clos, vous comprendrez très aisément que le point central du roman se situe bien dans l’observation méticuleuse des personnages, de leur psyché et de l’évolution de celle-ci.
Oh, bien sûr, vous aurez droit à de longues descriptions des fonds marins et de la vie torturée qui y a élu domicile. Peter Watts, après tout, est biologiste marin de formation : on ne se refait pas. Mais les abîmes que vous allez explorer ne sont pas seulement ceux situés autour de la station Beebe, mais aussi et surtout ceux tapis dans le coeur et les esprits des protagonistes.
Qui peut supporter la pression psychologique, l’isolement, le danger permanent? Des profils très particuliers. On est coutumier du fait, avec Peter Watts, mais vous allez avoir droit à une série de personnalités anormales, le genre de personnes qui finissent par être plus à l’aise loin du monde et de leurs semblables qu’au milieu de la civilisation. Ces personnes, modifiez-les pour qu’ils supportent la pression immense des profondeurs océaniques. Ce que vous obtiendrez, ce sont les rifteurs.
C’est là le grand ressort de ce roman : les interactions entre ces personnes abîmées, aux psychés hors du commun, leur évolution insensible vers un mode de vie étrange, coupé qu’ils sont des obligations sociales et de la pression de leur environnement personnel et professionnel.
C’est avec une pointe d’effroi, et beaucoup de curiosité, que j’ai plongé à 3000 mètres de profondeur pour suivre les rifteurs. Mais la fascination, la vraie, ne vient pas du décor inhabituel, ni des risques du boulot auxquels sont exposés nos braves rifteurs : elle vient d’un autre type de plongée, celle dans les tréfonds de l’esprit de Lenie Clarke, Ken Lubin (si mystérieux), Mike Brander, Gerry Fischer, Judy Caraco, Alice Nakata, Karl Acton…
Ces personnages, on pourrait facilement considérer qu’ils ne sont que des humains abîmés, voire des moins-qu’humains. Ce pourrait être l’histoire d’une déshumanisation, où des êtres brisés sont ostracisés et désocialisés pour devenir autre. Tel n’est pas le cas. Dans les ténèbres, même les monstres brillent. Ils sont beaux. Même l’être le plus monstrueux peut susciter la pitié.
(Alerte Divulgâchage)
Et on se surprend à ressentir de l’empathie pour le pédophile, pour l’homme qui bat sa femme, pour le tueur au même titre que pour la droguée, pour l’apathique insensible victime d’inceste, pour l’ancienne victime bouillonnante de rage.
(/Fin de l’alerte)
Mais outre les Rifters, vous croiserez une poignée de sécheux -ceux de la surface-. Et, là encore, force m’est de constater que je les comprends. Les choix qui sont faits sont, parfois, cruels. Mais ils me semblent être motivés par la nécessité ; pas la cupidité, le sadisme, et autres vices ma foi fort peu sympathiques : la froide nécessité.
Au moment où j’écris ces lignes, je ne connais pas la conclusion de la trilogie, mais un aphorisme de Nietzsche (dans Humain, trop humain) m’a titillé l’esprit alors que je voyais les cadres dirigeants se débattre :
La nécessité d’airain est une chose dont les hommes s’aperçoivent, au cours de l’histoire, qu’elle n’est ni d’airain, ni nécessaire.
Quelle cruelle position que d’avoir celle où il faut prendre des décisions radicales ! Alors que l’on peut s’apercevoir, rétrospectivement, qu’une autre voie était possible. Vous comprenez, peut-être, l’empathie ressentie pour ce personnage (l’antagoniste?) qu’est Patricia Rowan.
Une ambiance oppressante
Peter Watts fait de la hard-SF, on le sait bien. Ce dernier sait dépeindre des personnages torturés, on le sait aussi. Tout cela, vous le retrouverez, avec une multitude de détails sur la vie océanique, avec les mécanismes chimiques de la conscience, avec les pathologies comportementales.
Mais là où Peter Watts fait fort, dans ce roman en particulier, c’est au niveau de l’ambiance. Paranoïa et malaise face à des personnes étranges, mais aussi claustrophobie dans cette station minuscule. Tout, dans ce roman, devrait vous étouffer. Et cela revient souvent, dans les critiques que j’ai pu lire.
Tout ceci est vrai. Mais ce n’est pas là le tableau complet.
En effet, j’ai eu la sensation qu’il y avait autre chose. Dans ces eaux où la lumière du soleil n’a pas brillé depuis des millions d’années, j’ai cru percevoir une lueur : non pas l’espoir, mais la paix.
Et cette paix-là, qui survient dans des conditions pourtant si hostiles, est à mon avis tout l’objet du présent roman. Créer un moment de repos, un sanctuaire, un repère.
Ma conclusion très personnelle
Peter Watts n’a pas le talent de Dostoïevski, ni de Baudelaire, mais il n’en reste pas moins qu’il s’en sort honorablement dans les choses alchimiques : il nous distille l’angoisse avec brio, bien sûr, mais surtout il sait transmuter le laid en beau.
Soyez prévenus : ce livre est très introspectif, ce qui ne me dérange pas. Il convient toutefois de souligner que l’action est lente, voire absente : il s’agit d’un roman d’installation du décor, du contexte, où l’on plante les personnages. Une forme d’introduction magistrale à la trilogie Rifteurs. Ce n’est qu’au dernier tiers du livre que la dynamique, jusqu’alors centrée uniquement sur les personnages, va changer. Peut-être eût-il été possible d’éviter quelques longueurs : pour ma part, je n’en tiens pas rigueur à l’auteur, mais il faut savoir que je suis un bien mauvais juge en matière de longueurs tant j’y suis immunisé (ou, à tout le moins, hautement tolérant).
Je dois également souligner que c’est un livre sombre, aux thématiques profondes mais angoissantes. En tout état de cause, vous n’aurez pas entre les mains un livre léger. Non pas qu’il soit bien lourd (un peu plus de 300 pages), mais il ne vous fera pas rire aux éclats. Il faut le savoir.
Dernière observation : ce roman est fluide. Autant Vision Aveugle pouvait parfois être dense, presque hermétique, autant Starfish se lit bien, à l’exception peut-être de quelques rares passages.
Si ces éléments-là ne sont pas rédhibitoires pour vous, vous prendrez alors, comme moi, beaucoup de plaisir à vous enfoncer dans l’abîme. Et vous serez peut-être surpris qu’à forcer de le fixer, ce dernier vous rende votre regard.
Je suis d’accord, il est oppressant ce livre. Il est très bien, mais il n’y a pas un seul instant où je me sois senti à l’aise.
J’aimeAimé par 1 personne
Il est oppressant, il y a une tension, un malaise, c’est vrai.
Mais j’ai trouvé qu’il était surtout question d’humanité, d’empathie. C’est une histoire très humaine, au fond. Il aurait pu être facile de susciter le dégoût, la colère, le mépris pour certains personnages, au passé ou aux actions peu reluisantes.
Et pourtant, il n’en est rien. Je les comprends, tous. C’est peut-être ça, le malaise : il n’y a pas de monstre.
J’aimeAimé par 1 personne
Ping : Starfish – Peter Watts | Le culte d'Apophis