Bonjour à tous,
Je vous propose de nous éloigner quelques instants du worldbuilding orienté science-fiction pour explorer, quelques instants, un aspect fondamental de la Fantasy : la magie.
Si vous souhaitez créer un univers imaginaire, quel qu’en soit la raison, vous pouvez être certain qu’à un moment donné, vous aurez à résoudre la délicate question de l’introduction de la magie dans votre univers ou votre histoire.
Que ce soit consciemment, ou non, vous allez vous poser les questions suivantes :
- Pourquoi mettre de la magie dans mon monde?
- Qu’est-ce que la magie?
- Quelles sont les règles régissant la magie? Ou comment rendre la magie crédible.
- Quelle est la place de la magie dans mon monde? (je garde cette question au chaud, tant il y a à dire)
Je vais tenter, tant bien que mal, d’apporter un semblant de réponse à chacune de ces questions. Ces réponses, bien entendu, seront personnelles : il n’y a pas de réponse définitive, absolue, figée dans le marbre. Je ne suis pas un spécialiste dans l’art délicat du magicbuilding, loin de là. Je ne suis armé que de mon expérience de lecteur, de joueur et, occasionnellement, de maître du jeu.

Pourquoi mettre de la magie dans mon monde?
Cette première question n’est pas la première par hasard : elle est, à mon sens, fondamentale. C’est une question à laquelle toute personne souhaitant créer un univers imaginaire va répondre : y a-t-il de la magie dans mon monde? Pourquoi?
Je ne vois pas cinquante raisons de choisir de mettre de la magie dans une oeuvre, qu’il s’agisse d’un livre ou d’un jeu. C’est prendre le parti que l’on veut écrire de la Fantasy ou du Fantastique. C’est prendre le parti du surnaturel, et vouloir donner un ton particulier, une coloration à votre univers.
En effet, un univers où la magie est une réalité est un univers qui ne répond pas qu’aux seules lois physiques, mais aussi à d’autres lois : les lois de la magie. Ces lois peuvent compléter, ou entrer en contradiction, avec les lois physiques, et rendre possible ce qui devrait être impossible.
Les tatillons viendront sans doute souligner que mon propos est trop général, trop imprécis : et ils auront raison. Inclure de la magie dans un univers n’implique pas ipso facto que l’on va écrire de la Fantasy ou du Fantastique, par opposition à la littérature blanche ou à la Science-Fiction. Indubitablement, vous avez des sous-genres qui viennent brouiller les pistes : certains romans de Steampunk (ou des jeux, comme Arcanum), mais aussi des univers cyberpunk avec des elfes, des dragons et de la magie -oui, je pense à toi Shadowrun, non je ne pense pas à toi, Bright-, ou encore des univers où la magie n’existe pas mais où il est impossible de voir la différence entre science et magie -on peut penser à Numenéra ou, au hasard, le cycle des Danseurs de la Fin des Temps de Moorcok-.
Mais gardons les choses simples, ici, et concentrons-nous sur l’idée que vous voulez rendre possible l’impossible, et ce de façon surnaturelle : cela vous ouvre des possibilités créatives nombreuses, et les lois de la magie que vous imaginerez donneront de la texture, de la coloration et de la saveur à votre univers.
Permettre la magie, c’est vous ouvrir à une imagerie, à des idées, à des concepts avec lesquels vous pouvez jouer, auxquels vous pouvez vous conformer, que vous pouvez sublimer, que vous pouvez déformer. Invoquer des créatures venues d’autres plans d’existence d’un mouvement de la main, se confronter à des créatures mythologiques, faire apparaître -comme venant de nul part- une boule de feu qui flotte dans votre main, guérir d’un mouvement de la main des plaies qui auraient dû condamner une personne à la mort : la magie n’a jamais été aussi présente dans notre imaginaire, et admettez que son esthétique a quelque chose de cool.
Qu’est-ce que la magie?
Cette question peut paraître triviale, à tout le moins surprenante. La magie, c’est lorsque c’est surnaturel, hein? Et cela s’oppose à la science, ou à tout le moins à la technologie.
Définir la magie, c’est donc d’abord saisir ce qui la distingue de la technologie, et ce sans se borner aux évidences : l’impression donnée (la magie c’est magique, la technologie, c’est technologique : OK, on peut sentir confusément que c’est différent, mais ce n’est pas très utile pour définir les choses).
Définissons d’abord la technologie, qui existe, que l’on connaît bien : ce qu’on appelle couramment technologie, c’est l’ensemble des techniques et objets qui rendent la vie des gens plus simples. Quand on parle de technologies, on va penser aux avions, aux voitures, aux ordinateurs, aux téléphones portables…
Ce critère n’est toutefois pas utile : la magie aussi peut rendre la vie des gens plus faciles : allumer la lumière, voir à distance, communiquer à distance, se déplacer très vite, guérir etc.
La différence, c’est que la magie répond aux lois magiques, la technologie aux lois physiques. Elles ne sont pas nécessairement les mêmes.

Une première façon de bien distinguer la technologie et la magie, c’est que la première peut être répliquée, apprise et enseignée assez aisément. Elle est démocratique en ce que n’importe qui disposant des facultés intellectuelles requises (et des opportunités qui vont bien) peut devenir un technicien. La magie, quant à elle, se caractérise par le secret, le mystère, elle est un défi jeté à la logique et à la compréhension. Bien sûr, le fonctionnement d’un ascenseur ou d’un panneau solaire échappe à la compréhension d’une immense majorité de la population, mais l’ignorance n’est pas le mystère : nous savons que, si nous le voulions, nous pourrions comprendre comment cela marche, et que le fonctionnement de ces choses répond à des règles logiques. La technologie ne fait pas de caprices.
Bien souvent, la magie quant à elle peut être décrite comme aristocratique : seuls quelques élus y ont accès.
Une autre façon de distinguer technologie et magie, c’est de poser que la technologie peut permettre la production de masse et se manifestera avant tout par des objets physiques. La magie, très souvent, sera le fruit d’un artisanat particulier, les objets seront rares, et la magie ne se manifestera pas tant grâce à l’objet que via lui. La magie est indépendante des objets : vous pouvez la manifester sans support physique, par des sortilèges.
Autrement dit, la technologie va souvent rimer avec l’industrie là où la magie sera plus aisément assimilée à un Art.
Une troisième façon serait de constater que la technologie, telle que nous la connaissons, est quelque chose qui se développe, qui invente, qui change, qui innove. Personne n’espère découvrir de nouvelles technologies en fouillant de vieilles ruines. La magie, quant à elle, est souvent ancienne, antique, c’est le monde d’avant. Vous ne pouvez pas improviser des sortilèges, vous devez les apprendre, et il est bien plus simple de trouver des savoirs oubliés que de créer de nouvelles façons de faire de la magie.
Une quatrième façon de bien distinguer les deux est de considérer les choses auxquels la magie et la technologie s’appliquent. La seconde reste dans les bornes de notre univers matériel. La première peut s’appliquer à des domaines qui ne relèvent que de notre imaginaire : voir le passé, voir le futur, voir les morts, voir d’autres plans d’existences. Surtout, la magie peut avoir des implications sur l’âme.
Devoir négocier son pouvoir avec des entités extradimensionnelles, au péril de son âme : voilà quelque chose dont on peut dire que cela relève plutôt de la magie.
Bien sûr, tout ce que je viens de vous dire n’est qu’un ensemble de pistes de réflexions à explorer. Vous pouvez vouloir modifier ou contredire ces pistes, en imaginant de nouvelles façons de distinguer magie et technologie. C’est tout à votre honneur ! J’espère, simplement, avoir pu vous aider dans votre processus créatif.
Introduction aux lois de la magie
Une fois que vous avez décidé d’inclure de la magie dans votre monde imaginaire, et que vous avez réussi à définir quelques idées pour distinguer la magie de la technologie, vous allez songer aux lois régissant la magie : qu’est-ce que ça fait? Comment ça marche?
Bien sûr, je ne vous proposerai pas de revoir exhaustivement les systèmes imaginables, ou ayant déjà été imaginés : la tâche est titanesque, et comme chacun le sait : l’Art est long, la vie est brève.
Je tiens toutefois à vous faire une proposition de quelques lois magiques qui, à mon sens, répondent aux questions fondamentales que vous allez devoir vous poser.
La source
Une question logique, que vous vous poserez nécessairement. Cette question en induit une autre : la magie est-elle explicable ou inexplicable ?
De là vous pourrez vous poser toute une série de questions, qui permettent d’approfondir votre magicbuilding et de trouver des pistes pour la suite de la création de votre univers imaginaire. En voici quelques exemples :
- la magie est-elle universelle (présente partout) ou localisée?
- sa répartition est-elle uniforme? Ou y a-t-il des zones de magie morte? Des lieux avec des règles spéciales (magie sauvage…)?
- la magie existe-t-elle en quantité infinie ou en quantité finie?
Ces questions ont des implications très intéressantes.
Par exemple, si la magie est localisée et en quantité finie, on se retrouve face à une ressource qui est un enjeu géopolitique. Une sorte d’équivalent fantasy du pétrole ou de l’uranium.
L’accès
L’accès à la magie est une question qui va se poser vite. Je ne vise pas la question sociale, ici, mais quelque chose de plus fondamental : la magie est-elle accessible à tous ceux qui ont la bonne formule, ou seuls quelques élus peuvent-ils, par la grâce des dieux, de leur sang ou autres phénomènes analogues, y avoir accès?
Autrement dit, la magie est-elle innée ou acquise?
La maîtrise de la magie sera très probablement acquise, suite à un entraînement, une formation, l’expérience. Mais cela ne signifie pas que son accès ne soit pas inné. Prenez Harry Potter : vous naissez moldu, ou vous naissez avec la capacité d’accéder à la magie. Ce n’est qu’après être né avec un don que vous pouvez intégrer une école de sorcier.
Le coût détermine la valeur
Qu’est-ce que j’entends par coût? Vous le comprenez instinctivement, je pense, mais soyons clair : je n’entends pas là un coût financier. Cela peut coûter très cher, d’avoir recours à la magie, financièrement parlant : c’est évident. Et cela me paraît très bien.

Le coût que j’évoque est un coût personnel. La magie vous coûte physiquement et mentalement. Vous avez des exemples de cela, très nombreux, dans des oeuvres aussi différentes que Full Metal Alchemist, Les Chants de la Belgariade et Les Chants de la Mallorée de David Eddings, la magie du sang dans Dragon Age, les diverses oeuvres de H.P. Lovecraft. Vous pouvez y perdre un bras ou votre corps, vous pouvez mourir d’épuisement, vous pouvez y perdre l’esprit. Plus il vous en coûte, toutefois, plus les pouvoirs auxquels vous pourrez faire appel seront grands.
Vous trouverez une idée similaire dans le livre How to Write Science Fiction and Fantasy, d’Orson Scott Card : il propose un exemple de système magique où cette dernière dépendra des parties du corps que vous sacrifiez. Un doigt? Une main? Un bras? Que se passerait-il si vous vous sacrifiez et consumez tout votre corps?
Cet exemple permet de garder en tête un point essentiel : parmi les lois fondamentales de la magie, il vous faudra déterminer la rareté de la magie et son coût. Ces questions-là sont fondamentales en ce que vous y répondrez très certainement avant d’introduire le moindre élément magique dans votre récit. Elles ont un effet immense sur ce que sera votre univers imaginaire : un monde où la magie se trouve partout n’a rien à voir avec un monde où elle est si rare qu’on peut se demander, même, si elle existe vraiment.
Au fond, l’idée de coût n’est qu’une réponse (très personnelle) à la question des limites de la magie : que peut faire la magie? A quel prix? Y a-t-il des impossibilités absolues?
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Superbe article de fond. Je ne suis pas totalement d’accord avec toi, mais c’est à 99% quand même.
Mais je repasserai ce soir pour te laisser un commentaire plus élaboré. 🙂
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Merci pour ton commentaire, qui, comme toujours, me fait plaisir. Je suis curieux de lire ton commentaire plus élaboré !
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Me voici de retour!
Pour moi, le fantastique n’inclut nullement de la magie. S’il y a la présence du moindre soupçon d’une trace magique, nous tombons direct dans la fantasy. Le fantastique joue sur l’incertitude, et il peut y avoir des petites touches qui laissent dans l’incertitude, mais qui au final ne sont qu’une vue de l’esprit ou une altération.
Ensuite, je ne suis pas tout à fait dans la lignée d’opposer magie et technologie, mais je chipotte, j’en suis consciente. Je pense que dans l’Urban Fantasy, les deux coexistent sans pb. Et pour la question de quelques élus, j’ai lu des bouquins dans lesquels la magie s’enseigne et s’active par l’intermédiaire de glyphes très spéciaux. (Brandon Sanderson), la puissance étant liée au talent du praticien.
Dans tous les cas, un bel article.
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Pour le fantastique, je m’étais fait la réflexion, avant de décider de ne rien changer. La « magie » (ou le « surnaturel ») me paraît en être une marque importante (même si l’incertitude est un levier sur lequel l’auteur peut jouer aisément, pour maintenir la tension narrative).
Sinon, j’oppose pas tout à fait magie et technologie, qui ne sont pas exclusifs l’un de l’autre (par ex., je cite Shadowrun). C’est simplement qu’il faut réussir, je pense, à distinguer les deux : la magie doit avoir une « impression » différente de la technologie, et pour ça il faut réussir à trouver des idées pour opérer la distinction.
Les pistes que je propose ne sont que des pistes, et les auteurs sont des vicieux qui prennent un malin plaisir à briser les codes ! Les saligauds.
Merci en tout cas pour ton commentaire, j’aime bien débattre de ce genre de sujets !
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