Worldbuilding : créer des mondes crédibles, ou comment créer une étoile

Bonjour à tous !

L’attente fut longue : mais la patience, toujours, est récompensée. Je vous propose de découvrir quelques idées, conseils et techniques pour réussir à créer des planètes qui soient crédibles.

Crédibles? C’est-à-dire?

J’entends par là qu’il va s’agir d’imaginer des planètes dont les principales caractéristiques sont, globalement, conformes aux données de la science. On peut froncer les sourcils : ouais, OK, encore un truc de hard-SF ; pour la fantasy et l’immense majorité de la SF, ça ne sert à rien.

A mon avis, penser cela, c’est commettre une erreur. Ce qui donne sa saveur à un monde, c’est son contenu, mais aussi le contenant, qui doit être bien délimité. Autrement dit, il faut réussir à explorer les limites de ce qui peut être fait : quand tout est possible, tout devient évanescent, et il n’y a plus vraiment d’enjeu. Quand, par exemple, en fantasy, vous imaginez les règles régissant la magie, l’important n’est peut-être pas ce qui peut être fait que les limites de la magie, le prix à payer.

Il en va de même quand vous créez une planète, et je vais vous le démontrer dans la présente série d’articles : ce sont les limites, les contraintes, qui viennent fertiliser l’imagination et nous permettent d’explorer les possibles. Face à une contrainte donnée, c’est là que l’auteur, le créatif, va se dire « oui, OK, mais qu’est-ce que ça donnerait si… », suivi d’une brillante idée pour contourner le problème, voire le sublimer pour en faire non plus une contrainte mais le ressort d’un monde vivant.

Choisir sa bonne étoile

En premier lieu, il convient de faire un petit résumé sur les étoiles. Pourquoi? Parce que les caractéristiques principales d’une planète vont dépendre, très largement, de l’étoile autour de laquelle elle gravite.

Un tableau vaut mieux qu’un très long discours, je vous propose donc une classification faite maison (avec des données glanées sur Wikipedia et sur Atomic Rockets, rendons à César ce qui est à César : je me suis borné à traduire, simplifier, et colorier le tableau, en ajoutant les naines brunes tout en bas -les types spectraux L, T et Y-).

Etoiles tableau.png
A noter que les naines brunes ont une espérance de vie infinie ; il semblerait que le signe ∞ ne soit pas passé.

Il convient de souligner que je me suis borné aux étoiles de la séquence principale (notés avec un V, par exemple G2V). Un futur article traitera des cas exotiques : supergéantes, naines blanches, trous noirs, étoiles à neutron, naines brunes, systèmes binaires ou ternaires…

Quelle étoile choisir?

Bon, vous avez une petite idée de l’étoile autour de laquelle votre monde gravite. Il va maintenant falloir se demander comment faire pour qu’une planète soit habitable.

La question paraît simple. Elle ne l’est pas tant que ça. Vous allez devoir éclaircir un certain nombre de choses avant de continuer.

vous voulez un monde habitable… mais pour qui?

Habitable par les humains, sans soutien technologique ultra-poussé? Dans ce cas, l’Antarctique, le Sahara et consorts sont habitables. Dune, de Franck Herbert, nous propose la planète Arrakis : elle est parfaitement habitable par les humains. Mais elle est très loin d’être confortable.

Habitable par les formes de vie terrestres, dont les protéines se dissolvent dans l’eau? Dans ce cas, une planète est habitable tant que l’eau peut exister sous forme liquide. C’est le sens le plus communément utilisé du terme habitable quand on vous parle d’exoplanètes.

Enfin, il y a habitable par toute forme de vie. Et là, mes amis, les possibilités sont nombreuses et excitantes. On y reviendra.

Rapide considération sur la rareté de certaines étoiles

Sur 100 étoiles, vous aurez à peu près 80 étoiles de type M (un petit peu moins, en réalité), 12,5 étoiles de type K, 7,5 étoiles de type G, 3 étoiles de type F, 0,625% de type A, 0,125% de type B et 0,000033% de type O.
Vous l’aurez compris : les étoiles de type M sont la règle, les étoiles de type O sont extrêmement rares.

Pour mémoire, notre Soleil est une étoile de type G2. J’avais déjà évoqué l’importance des étoiles quant à la question, délicate, de l’apparition de la vie dans mon troisième article sur les solutions au Paradoxe de Fermi.

Morgan-Keenan_spectral_classification.png
Credit : Wikipedia Commons

En résumé, vous avez les étoiles de Type O et de type B, ou géantes bleues. Elles sont très chaudes, très brillantes, très massives. Mais, vous le voyez dans le tableau, elles ont une durée de vie très brève : une petite poignée de millions d’années, au mieux. Ce n’est qu’un clignement de l’oeil, à l’échelle de l’Univers … et de la vie ! Pour mémoire, le Soleil a 4,6 milliards d’années, la Terre en a 4,5 milliards d’années (en gros), la vie serait apparue, selon les hypothèses les plus précoces, il y a de cela 4,1 milliards d’années.

Dans cet intervalle de temps, vous avez des géantes de Type O ou B qui ont pu se former, vivre leur vie d’étoile, et donner lieu à une supernova. Inutile d’insister : c’est infiniment peu probable que la vie ait le temps d’apparaître, et a fortiori de se développer.

Le même problème va se poser pour les étoiles de Type A, quoique de façon un peu moins aiguë.

Vous vous retrouverez donc, probablement, à envisager plutôt des étoiles de type F, G ou K. Ces dernières sont plutôt propices à la vie, quoique ne brillant sans doute pas par leur originalité.

Quid des étoiles de type M, ou naines rouges? Où placer la planète pour qu’elle soit habitable, au sens présence d’eau liquide possible?

Primo, rappelons que les naines rouges ont une luminosité très inférieure à celle de notre soleil, de sorte que pour avoir une température similaire à ce qu’on connaît sur Terre, il faudrait que la planète soit très proche de son soleil. Cette très grande proximité implique une chose : la planète en question n’échappera pas aux effets de la force de marée, et aura une orbite synchrone. Un peu comme la Lune, qui présente toujours la même face à la Terre.
Présenter toujours la même face à la Terre est une chose, mais présenter toujours la même face à un soleil, fut-ce une naine rouge, cela implique une chose étrange : une face connaît une journée éternelle, l’autre face une nuit éternelle.
On peut supposer que le climat risque d’être rude, à tout le moins.

Secundo, les naines rouges ont une luminosité variable, parfois brusquement puisque ce peut être une affaire d’heures.
La conséquence? Vous pouvez avoir une naine rouge qui ne chauffe très peu une planète, avant de la cramer. Imaginez quelques secondes que notre soleil, dans les trois heures qui viennent, brille deux fois plus fort. Il y aurait du dégât, à n’en pas douter.
Mais au-delà de ça, le vrai problème, c’est que les planètes habitables, on l’a vu, sont très proches de leur étoile. Des éruptions solaires, des variations de luminosité, tout cela n’est pas très bon pour l’atmosphère de la planète très proche. La conséquence? La planète risque fort de se faire dépouiller de son atmosphère par les émissions ultraviolettes et les éruptions solaires. Une planète sans atmosphère n’est pas très propice, je le crains, au développement de la vie.

Cela étant précisé, il semblerait que cette instabilité de l’activité solaire ne soit pas permanente : l’étoile est instable au début de sa vie, soit pendant 1,2 milliards d’années. Après ce petit laps de temps, elle se calmerait. Une planète qui réussirait à préserver son atmosphère pendant ce laps de temps pourrait, éventuellement, devenir viable.

Créer sa propre étoile : calculer la luminosité bolométrique

N’ayez pas peur !

Sous ce nom savant se cache une chose toute simple : une étoile émet des ondes. Quand on regarde la luminosité d’une étoile, on regarde les ondes visibles. Quand on regarde la luminosité bolométrique, on regarde l’ensemble des ondes émises, y compris celles invisibles pour notre oeil de primate.

Pourquoi se prendre la tête avec ça?

Parce que cela va être utile pour tout un tas de déductions et de calculs.

Il y a, en effet, une relation physique, mathématique, entre la luminosité bolométrique, la masse d’une étoile et son diamètre, voire avec la température autour de l’étoile.

Comment ça se calcule?

La première étape est d’avoir la magnitude bolométrique des différents types d’étoiles.

Je ne veux pas vous assomer de calculs, du coup, je me suis permis de le faire pour vous dans le tableau ci-dessous.

Classe spectrale Magnitude bolométrique absolue (Mbolo)
Luminosité bolométrique
=2,52(4.85 – Mbolo)
O5 -10 913688,23
B0 -7,2 68687,3113
B5 -2,5 891,854432
A0 0,3 67,0459364
A2 0,9 38,5063307
A5 1,6 20,1628425
A7 1,9 15,28029
F0 2,5 8,77589202
F2 2,9 6,06360712
F5 3,3 4,18958338
F7 3,8 2,63918946
G0 4,4 1,51575931
G2 4,7 1,14870915
G5 5 0,87054238
G8 5,3 0,65973535
K0 5,8 0,41559421
K2 6,1 0,31495559
K5 6,6 0,19840337
K7 7,2 0,11394853
M0 7,8 0,06544378
M2 8,3 0,04122571
M4 8,8 0,02596976
M6 9,5 0,01359839
M8 11,8 0,0016228

Je vous ai mis dans la colonne luminosité bolométrique la formule de calcul. N’hésitez pas à l’adapter si vous voulez choisir une magnitude bolométrique absolue différente.

A noter, pour la formule : 4.85 est la luminosité bolométrique de notre soleil. Très grossièrement, le 2,52 vient de la comparaison entre la luminosité sur le spectre visible (Lv) et la luminosité bolométrique totale (Lb).

Créer sa propre étoile : calculer la masse stellaire

La masse stellaire, comment la calculer?

Il y a une relation intime entre la masse d’une étoile et sa luminosité.

En effet, la masse d’une étoile détermine très largement sa position sur la séquence principale. Plus une étoile est grosse, plus elle est chaude, et plus elle brille (et moins elle vit longtemps : les réactions nucléaires en son coeur sont plus intenses et plus rapides).

La relation masse-lumière est, très approximativement (en réalité l’équation varie en fonction de la masse de l’étoile concernée par rapport à notre soleil) :

L ∼ M3,8  ou M ∼ L0,2632

Pour rappel, ∼ signifie qu’il y a une relation d’équivalence. C’est comme le symbole =, mais en plus faible.

Donc, très concrètement, la masse d’une étoile est égale à la luminosité bolométrique à la puissance 0,2632.

Prenons une étoile comme notre soleil, G2, avec une luminosité bolométrique de 1,5.

Soit :

1,50,2632 = 1.112.

Autrement dit, une étoile G2 avec une luminosité bolométrique de 1,5 aura une masse 1,112 fois plus importante que notre soleil.

Créer sa propre étoile : calculer le diamètre de l’étoile

Le diamètre d’une étoile, vous le devinez en regardant le tableau en début d’article, dépend d’une relation complexe entre la température et la luminosité.

La formule à appliquer est la suivante :

Sdia = (Soltemp² / Stemp²) * √SlumBolo 

Sdia = diamètre de votre étoile (Sol = 1)
Soltemp = température du soleil (Kelvin) = 5770 K
Stemp = température de votre étoile (cf tableau ci-dessus)
SlumBolo = luminosité bolométrique

Pour aller plus loin

Un tableau avec de nombreuses données pour chaque type spectral d’étoile. A noter que la séquence principale est noté V (comme G2V, ou M8V).

L’article du blog de Mason Chane sur les modalités de calcul des paramètres fondamentaux des étoiles. Il va beaucoup plus loin que moi, donc si vous jugez que les méthodes proposées ici sont trop imprécises, vous pouvez trouver votre bonheur sur son blog.

World-Building: a writer’s guide to constructing star systems and life-supporting planets, par Stephen L. Gillett, aux éditions Ben Bova.
Je me le suis commandé, je ne regrette pas du tout mon achat : très didactique, c’est un outil essentiel pour mes présents articles.

5 réflexions sur “Worldbuilding : créer des mondes crédibles, ou comment créer une étoile

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  2. Ouah ! J’ai pas tout compris forcément mais chapeau au travail effectué ! :-O Je ne pense pas créer une oeuvre SF où je devrais inventer une étoile de toute pièce mais si un jour cela arrive, je sais quel article consulter 😀 Bel article en tout cas !

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