Terreur, de Dan Simmons : une lecture parfaite pour période de grand froid.

Bonjour à tous !

La vague de froid arrive. Des températures à -10 degrés celsius sont attendues. Les sorties sont éprouvantes. Le corps souffre. Les doigts sont gelés. Les lèvres, gercées. Les yeux pleurent. Il faut s’occuper l’esprit. Et quoi de mieux que Terreur, de Dan Simmons, pour relativiser l’inconfort subi?

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Ce roman a été écrit par Dan Simmons, auteur d’Ilium, Olympos, d’Hypérion et d’Endymion, de l’Echiquier du Mal. Un auteur de qualité, que j’apprécie grandement : et je ne suis, manifestement, pas le seul à aimer ses romans puisque chacun des livres que j’ai cité est un bestseller.
Mais, Terreur n’est pas de ceux-là : il est différent des autres livres de ce bon vieux Danny. Ce n’est pas du Space-Opéra, il n’y a rien de futuriste, et le livre est moins connu. Cela a suffi à titiller ma curiosité : je voulais découvrir cette facette-là de l’auteur -c’est cette même démarche qui m’a conduit à lire Roma Aeterna et le Livre des Crânes de Robert Silverberg, ou la Mort Blanche d’un certain Franck Herbert-.

Avant de passer à l’analyse de l’oeuvre, que j’essaierai de faire sans spoil intempestifs (ils sont inévitables, mais je ne vais rien dévoiler des éléments essentiels de l’intrigue, je vous rassure : je vais rester dans le flou pour laisser intacte la joie de découvrir cette oeuvre), je tiens à vous raconter les circonstances dans le cadre desquelles j’ai terminé de lire cet ouvrage.

En peu de mots : mon activité professionnelle me conduit à me déplacer un peu partout en France, en train notamment. J’avais bien entamé le livre, mais il m’en restait pas mal à lire ; nous étions le mardi 6 février 2018. J’arrive à Montparnasse, où je note quelques retards des trains en provenance de Bordeaux : qu’importe, pensais-je naïvement, ce n’est pas là où je me rends. Bien entendu, mon optimisme était mal placé : je suis parti avec plus d’une heure de retard.

Mais c’est au retour que j’ai eu l’immense joie de voir mes trains supprimés. Un départ, initialement prévu à 21h, fut ainsi reporté à 23 heures (la gare n’étant pas chauffée) ; mon train, théoriquement censé faire le trajet en un peu plus d’une heure, aura mis près de deux heures trente. Je suis rentré après une heure du matin. Dehors, la neige tombait sans discontinuer, et une petite brise bien vivifiante venait me fouetter le visage. Je vous épargne mes errances sur le Boulevard Montparnasse à deux heures du matin, ivre de fatigue, sous la neige qui tombait sans discontinuer.

En attendant, je continuais de lire le récit de ces hommes dépenaillés, hirsutes, livides, crasseux, hagards, luttant contre un froid pénétrant et omniprésent, une faim cruelle, une fatigue envahissante. Un récit de neige, de glace, de banquise et de désespoir. Un récit approprié à ma situation : cela permet de relativiser, je vous le confirme.

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F.A Biard, Magdalena Baynord de Spitzbergen, Musée du Louvre. Ou moi, errant sur le Boulevard Montparnasse.

Vous l’aurez compris, Terreur n’est pas un récit qui donne le sourire. C’est un récit qui décrit avec une précision diabolique l’enfer gelé et la longue agonie de ces matelots perdus au bout du monde. C’est aussi un récit où désespoir et combativité se conjuguent pour créer un souffle épique : un roman du genre de ceux qui vous saisissent et ne vous lâchent plus pendant des jours.

C’est un roman au confluent de plusieurs genres : le roman historique, l’horreur et le fantastique. Vous voulez en savoir plus? C’est par ici.

Le 19 mai 1845, le HMS Erebus et le HMS Terror quittent l’Angleterre sous les vivats de la foule. Avec ces navires, le vénérable sir John Franklin entend enfin percer le mythique passage du Nord-Ouest. Mais à l’enthousiasme succèdent bientôt la désillusion, puis le drame…Mal préparée, équipée et dirigée, l’expédition se retrouve prisonnière des glaces et de la nuit polaire. La mort frappe. La maladie se répand. La faim, la mutinerie et la folie couvent. Et rôde une mystérieure et terrifiante créature, incarnation des peurs ancestrales de l’homme face aux éléments.
Le 19 mai 1845, cent vingt-neuf hommes partaient pour un voyage au bout de l’enfer blanc. Combien en reviendront vivants?

Un roman historique

Une expédition réelle

Hé oui, s’agissant d’un roman historique, les faits servant de fondement au roman sont tout ce qu’il y a de plus réel. Oui, le HMS Erebus et le HMS Terror ont existé : ces navires ont accueilli James Clark Ross lors du dernier voyage d’exploration fait entièrement à la voile. C’était en 1839/1843, un voyage à visée scientifique vers une région inconnue des hommes et abandonnée des dieux. Cette expédition est d’ailleurs évoquée à plusieurs reprises dans le roman.

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HMS Erebus et HMS Terror dans l’Antarctique, par James Wilson Carmichael, 1847

En effet, c’est à l’occasion de cette expédition que Francis Crozier, un irlandais officier de la marine de Sa Majesté et principal protagoniste du roman, est devenu commandant du HMS Terror.

Non seulement les navires sont réels, mais les membres de l’équipage et l’expédition elle-même ont, eux aussi, existé.

L’expédition Franklin était une expédition maritime et polaire britannique qui cherchait à trouver le fameux Passage du Nord-Ouest, qui permettrait de rallier par bateau l’Océan Atlantique et l’Océan Pacifique via le réseau d’îles au nord du Canada. C’était la plus grande expédition du monde, avec des monceaux de charbon, de nourriture en conserve : tout était prêt, en ce beau mois de mai 1845, pour réussir à conquérir, enfin, ce fameux passage.

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Le Passage du Nord Ouest

Vous voulez connaître la liste des participants à cette tragédie, de Charles F. Des Voeux à James Reid, en passant par John Bridgens, George H. Hodgson, John Irving, Thomas Blanky, Henry Peglar ou encore Cornelius Hickey? Il vous suffit de consulter le rôle de l’équipage.

Hélas, ni le Capitaine Franklin, ni le Capitaine Crozier n’ont réussi à trouver ce passage. Aucun membre d’équipage n’a reparu. Pendant plus de 150 ans, nous avons ignoré le sort des navires (le HMS Terror a été retrouvé en 2016 seulement). Nous ne savons rien du sort de 95% des hommes d’équipage : quelques ossements sur l’île Beechey, quelques autres sur l’Île du Roi Guillaume, guère plus. Cela est suffisant pour soupçonner la faim, l’hypothermie, le scorbut, l’empoisonnement au plomb…et de constater qu’il aurait pu y avoir du cannibalisme.

Une intrigue en quatre temps

Revenons-en au roman.

Je distingue une intrigue en quatre temps, chaque temps ayant son propre rythme. Vous alternerez les points de vue tout le long du livre entre les différents membres d’équipage, vous permettant, grâce à la multiplicité des récits, de saisir, par touches successives, la globalité de l’image qui échappe aux infortunés membres de l’équipage.

Le roman commence avec un mouvement de va-et-vient entre le présent (Octobre 1847) et le passé (avant que les navires ne soient prisonniers des glaces, voire avant que les navires ne quittent l’Angleterre). Les personnages sont introduits et présentés ; les raisons de l’expédition et son cheminement y sont explicités. Quelques longueurs, mais des longueurs nécessaires pour la suite du récit. Je ne m’y attarde pas : ce n’est pas ça qui va vous accrocher.

Viens ensuite le second mouvement de cette sinistre symphonie : l’été 1847 se termine ; cela fait deux ans que le HMS Terror et le HMS Erebus sont prisonniers des glaces au large de l’Île du Roi-Guillaume. La fonte, tant espérée, n’a pas eu lieu. Il ne sera pas possible d’attendre l’été 1848, du moins, très probablement. : les réserves de nourriture ne le permettront pas. Que faire? Chasser? Hors de question : la Chose des Glaces l’interdit. La Chose des Glaces? Oui : une créature mystérieuse, particulièrement rusée, semble tuer les membres de l’équipage pour le plaisir, et vide les alentours de tout gibier…
Ajoutons à ce tableau une jeune inuit muette, dépeinte comme une sorcière par les hommes d’équipage supertitieux, un moral qui baisse, des tensions qui croissent, une nuit quasi perpétuelle, des conditions météorologiques ignobles, et vous comprendrez que la situation n’est pas au beau fixe.

C’est à partir de là que vous allez vous attacher aux personnages, qui sont tous réalistes : les portraits esquissés sont tous saisissants de profondeur et je ne peux dire ce qui relève du réel et ce qui relève de l’imagination de Dan Simmons.

C’est aussi à ce stade que vous vous poserez des questions : s’agit-il d’une oeuvre fantastique? Ou n’est-ce que la retranscription de la peur irrationnelle de marins superstitieux? Rien n’est encore sûr. Le doute est permis.

Enfin, la troisième étape, la plus haletante, la plus désespérée aussi. Là, les solidarités sont mises à l’épreuve ; la folie danse avec l’espoir ; nous quittons les terres connues du récit historique pour nous aventurer dans un pays cauchemardesque, les visions hallucinées se succèdent jusqu’à ce qu’on atteigne le sommet (ou les abysses) ! Chacun se trouve transfiguré, transformé, par les épreuves qui lui sont réservées. Je reste, ici, volontairement dans le vague pour ne pas gâcher le plaisir des futurs lecteurs.

Finalement, la quatrième étape est plus calme, plus posée. Cela me rappelle le Seigneur des Anneaux, le Retour vers la Comté : on ne retrouve pas le caractère épique de la grande guerre et des grands événements qui ont secoué le reste du monde. Certains, sans doute, seront déçus par cette fin, qui n’aura pas le rythme génial de ce qui l’a précédé. Pour ma part, j’ai trouvé qu’il s’agissait-là d’une respiration bienvenue, et d’une conclusion satisfaisante à ce qui n’aurait été sinon qu’une longue suite de douleurs, de pertes et d’injustices.

Faisant quasiment mille pages, ce n’est pas une lecture rapide. C’est clair, évident, je ne peux le nier. Mais ce que je peux vous confirmer, c’est qu’une fois franchi les longueurs du début, vous serez piégé dans la glace avec l’équipage. Vous prierez avec eux, vous souffrirez avec eux, vous vous garderez de tout espoir excessif sur leur sort, mais vous ne pourrez vous empêcher d’y croire : ils ne rentreront pas tous, mais certains vont y arriver. Il le faut.

Surtout, vous vous rendrez vite compte que le froid, la faim, la maladie ne sont que des dangers somme toute secondaire. Même la Chose des Glaces, péril mortel indéniable, n’est pas le vrai ressort de l’horreur.

L’enfer, ce n’est ni la glace, ni l’assiette vide ; l’enfer, c’est les autres. La rédemption, aussi. Voilà quelques semaines que j’ai terminé ce roman, que je l’ai rangé soigneusement dans ma bibliothèque, mais voilà, les souvenirs reviennent encore : des souvenirs de scènes mémorables, mais surtout le souvenir de ces personnes avec qui j’ai partagé une part de leur fardeau pendant mille et quelques pages.

Voilà un roman qui mérite d’être lu, à l’écriture solide : on sent l’immense boulot mis dans la confection de ce petit bijou (et la partie remerciements, à la fin, ne fait que confirmer cette impression). C’est donc, vous l’aurez compris, un roman que je recommande chaudement (ho ho).

Pour approfondir

Une série télévisée est prévue

Le titre me paraît assez explicite : AMC a prévu d’adapter ce livre en série. Et le premier épisode est prévu pour bientôt : le 26 mars prochain ! J’ignore si ce sera une réussite ou un navet. Mais, très franchement, le livre est parfait pour une adaptation : quiconque l’a lu pourra venir confirmer qu’il est très « visuel », et que les scènes décrites prennent vie très facilement dans l’esprit du lecteur. C’est un très beau matériau pour une adaptation : j’espère qu’ils seront à la hauteur !

Un peu de peinture pour nous réchauffer le coeur

Si vous avez été impressionné par les descriptions des territoires désolés que sont la banquise arctique et les îles du nord du Canada, je vous invite à admire ces quelques peintures qui me paraissent être dans le thème.

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François Auguste Biard, Walrossjagd
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William Bradford, Arctic Sunset, 1874
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Frederic Edwin Church, The Icebergs, 1861
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William Henri Smyth, HMS Terror
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William Bradford, Icebound Ship

Et les inuits?

 Les inuits et leur folklore jouent un rôle important dans cette oeuvre : Dan Simmons a la délicatesse de nous indiquer ses sources à la fin de son roman. Si vous êtes curieux et voulez en apprendre plus sur ce peuple mal connu, je vous propose de vous les indiquer dans ce billet. Je dois toutefois vous prévenir : ces sources sont en anglais.

  • The Inuit, Nancy Bonvillain, Chelsea House Publications, 1995 ;
  • Eskimos, Kaj Birker-Smith, Crown, 1971 ;
  • The Fourth World, Sam Hall, Knopf, 1987 ;
  • Ancient Lands : Sacred Whale – The Inuit Hunt and Its Rituals, Tom Lowenstein, Farrar, Strauss and Giroux, 1993 ;
  • The Igloo, Charlotte & David Yu, Houghton Mifflin, 1988 ;
  • Hunters of the Polar North – The Eskimos, par Ernest S. Burch Jr, University of Oklahoma Press, 1988 ;
  • Arctic Crossing, Jonathan Waterman, Knopf, 2001 ;
  • Quand la parole prend forme (en français), Glénat, Muséum d’histoire naturelle de Lyon, musée d’art inuit Brousseau, 2002.

Je vous indique cela, non pas en supposant que mes lecteurs vont se jeter sur ces ouvrages (quoique ça me ferait plaisir d’aider quelqu’un qui cherche des informations sur le sujet et tombe sur mon article via un moteur de recherche : tout le plaisir est pour moi !), mais pour vous faire prendre conscience que même sans créer un monde imaginaire de toutes pièces, bosser un roman peut demander beaucoup de recherches pour être solide !

16 réflexions sur “Terreur, de Dan Simmons : une lecture parfaite pour période de grand froid.

      1. C’est mon petit plaisir, quand j’en ai le temps, de partir à la découverte d’oeuvres « secondaires » des maîtres de la SF ou de la fantasy (sauf erreur de ma part, Terreur, le Livre des Crânes ou la Mort Blanche sont un peu restés dans l’ombre).

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  1. On te sens particulièrement impliqué dans ce roman. Tes péripéties professionnelles ont du te mettre au diapason pour l’intensité dramatique.
    C’est une très belle chronique que tu as rédigé, et je sais que bosser sur un roman avec pas mal de recherches prend ud temps. beaucoup de temps. Merci

    Aimé par 1 personne

    1. Je suis peut-être un peu trop enthousiaste, mais c’est sans doute lié au fait que j’ai lu le pinacle de la troisième partie alors que je tremblais de froid en attendant mon train, la neige recouvrant toute chose tout autour de moi.
      J’ai essayé de rendre hommage à un livre qui a touché quelque chose en moi, je suis heureux si tu as apprécié. Merci à toi.

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      1. Pas d’inquiétude, je pense que tu as trouvé le bon équilibre. Et puis après tout pour un roman qui décrit un événement historique c’est particulier, puisque une simple recherche Wikipédia peut en dire beaucoup

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  4. Guillaumon

    Bonjour

    Suite au visionnage de la série télévisée the terror, je ne suis mis à faire quelques recherches sur le sujet.
    Je viens donc de lire votre présentation du roman et je trouve votre article très bien écrit.
    Je ne sais pas quelles libertés à pris le réalisateur par rapport au roman mais au vu de ce que je viens de lire ça me paraît assez fidèles.
    En tout cas sans connaitre le roman ni l’existence de cette expédition j ai trouvé la série très bien faite et vraiment captivante.
    Bonne continuation

    Aimé par 1 personne

    1. Bonjour,

      Merci beaucoup pour votre commentaire, qui me fait très plaisir.
      Le réalisateur a pris quelques libertés, pour tout vous dire (je viens de finir la série), mais cela reste globalement très fidèle au livre, si ce n’est la fin, qui aurait mérité un ou deux épisodes de plus -et davantage de moyens-.

      A très vite et au plaisir de vous lire !

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