Disco Elysium, un incontournable du RPG?

Bonjour à tous !

Promis, je vais revenir à des articles plus littéraires ou de fond, mais je tenais à faire un crochet par un jeu qui m’a impressionné, et qui m’impose, si j’ose dire, que je l’évoque dans un article dédié.

Ce jeu, vous l’aurez deviné, c’est Disco Elysium.

J’espère vous le faire découvrir par cet article, voire vous donner envie d’y jouer !

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Disco Elysium, c’est quoi?

Disco Elysium est un jeu développé et publié par un studio de jeu vidéo estonien, ZA/UM le 15 octobre 2019 dernier, sur PC. Ils vont publier prochainement (en 2020) des versions pour consoles (PS4 et Xbox, en l’état). Il s’agit, a priori, du premier jeu de ce studio. Et d’un jeu qui a rencontré un véritable succès : des scores incroyables par les critiques, les louanges des joueurs, et ils vont devenir, je pense ou à tout le moins je l’espère, une référence dans le domaine dans les prochaines années.

Ce jeu me paraît un avatar très prometteur de la renaissance du RPG old school, que j’évoquais dans un précédent article : de la 3D isométrique, bien sûr, du roleplay, évidemment, mais ce jeu dépasse mes attentes à ce niveau.

Vous jouez un personnage unique, que vous ne pouvez pas customiser. On se trouve donc dans la même situation qu’avec des jeux comme The Last of UsPlanescape TormentUncharted, Red Dead Redemption et consorts : vous n’avez pas le choix du protagoniste.

C’est un jeu où il n’y a quasiment aucun combat. Où tout se joue sur les compétences, et les dialogues. Un jeu purement narratif, donc.

Enfin, c’est un jeu où vous allez jouer un détective. Je vous fais une confession : je n’aime pas les séries policières, ni les romans policiers, ni les films noirs. J’aime, parfois, l’esthétique de ces derniers, mais je n’ai jamais accroché.

En dépit du peu d’attirance a priori pour le genre proposé, j’ai été (à ma grande surprise) happé par le jeu. Par quel miracle? C’est ce que je vais tenter de vous expliquer.

Disco Elysium, c’est une mécanique

Innovant. Voilà un premier adjectif qui me vient, rétrospectivement, à l’esprit. Ce caractère innovant transparaît d’une part de la mécanique de jeu, d’autre part de l’interface.

La mécanique de jeu est orientée vers la narration, cela se voit, cela se sent. On retrouve, bien sûr, des éléments très classiques : des attributs (quatre, en l’occurrence, qu’on pourrait aussi appeler caractéristiques) et des compétences (au nombre de ving-quatre). Les caractéristiques sont plutôt classiques, puisque vous retrouvez la puissance physique, la dextérité, la « psyché » (la capacité à ressentir son environnement, à comprendre autrui…), et l’intellect.

Les compétences, quant à elles, sont une des premières choses attirant vraiment l’attention, et ce dès la création du personnage. Je me souviens avoir froncé les sourcils, avec des compétences au nom ésotérique : « Inland Empire », « Esprit de Corps », « Shivers », « Half Light ». Mais, avec du recul, chacune de ces compétences a son utilité.

Ces compétences sont divisées par attribut : six par attribut.

Ces compétences sont, je pense, l’élément central du jeu. Oui, bien sûr, votre personnage va interagir avec d’autres personnages. Mais, et c’est là la grande originalité de ce jeu, votre personnage va (surtout?) interagir avec lui-même : votre Logique et votre Imagination (Inland Empire) vont discuter, se répondre, se contester, même, parfois. De la surprise, je suis passé très rapidement à une autre question : une telle mécanique est évidente, pourquoi ne pas y avoir pensé avant?

Combien de fois avons-nous ces débats internes, entre notre désir « physique » (de sexe, de jouer, de s’acheter compulsivement une chose, de manger ce plat délicieux) et notre côté plus « logique » (ce ne serait pas raisonnable)? Ou notre côté créatif et notre côté « rationnel »? Et l’on peut multiplier les exemples. Nous sommes une constellation d’éléments s’affrontant les uns les autres, et l’étude de notre psyché me paraît davantage plus proche de la météorologie que de la plomberie (pour reprendre un propos évoqué par le personnage de Michel Duval dans la trilogie martienne de Kim Stanley Robinson).

C’est cela que retranscrit la mécanique du jeu, ce qui peut être déroutant, mais je vous assure que, si vous adhérez, vous allez adorer.

Disco Elysium, c’est un monde

Disco Elysium, c’est aussi un beau travail de worldbuilding.

Un travail graphique, d’abord. Pour un premier jeu, par un studio indépendant, je trouve que le résultat a de la gueule. Une personnalité. Les maps ne sont pas très nombreuses, mais elles sont travaillées, et elles remplissent leur fonction : délivrer une atmosphère, une ambiance, qui participe à l’immersion.

Un travail d’écriture, ensuite. Le coup de l’amnésie est assez classique, et commode : cela permet de mettre les connaissances du protagoniste au même niveau que celles du joueur. Le monde de Disco Elysium, pourtant, ne se dévoile pas facilement. Plusieurs questions restent en suspens très longtemps dans le jeu, avec une réponse finale sur le monde qui dépend d’un score de compétences assez difficile à obtenir. La première, c’est de savoir quand on est. La technologie n’est guère futuriste, et rappelle sensiblement notre technologie -voire, une technologie sensiblement moins évoluée que la nôtre-. La question suivante, c’est où l’on est. On trouve la réponse assez aisément, avec pas mal d’histoires sur Revachol, un lieu tourmenté, soumis à de nombreuses influences politiques, un chaudron bouillonnant d’idées contradictoires dans un pays occupé, bien engagé sur la pente du déclin. Mais la dernière question, redoutable, est de savoir où est Revachol. Je ne vous dévoile pas la réponse. Déjà, pour ne pas spoiler. Surtout, parce que je ne suis pas sûr d’avoir tout compris.

Le monde d’Elysium a une histoire riche, et une géographie originale. Un plaisir à découvrir, si vous êtes le genre de joueurs à aimer le lore. 

Disco Elysium, c’est une écriture

Je vois une critique revenir souvent : l’écriture serait trop élitiste, trop compliquée. C’est un jeu exclusivement en anglais (pour le moment?), et il faut admettre que le niveau dudit anglais est plutôt au-dessus de ce que l’on peut voir dans beaucoup de jeux. Toutefois, cela ne m’a pas paru être un anglais hermétique, ni d’une complexité déroutante. Tout au plus dois-je prévenir que, si vous n’avez pas l’habitude de lire en anglais, ce jeu risque d’être compliqué : beaucoup, beaucoup, beaucoup de texte, dans un anglais littéraire d’un bon niveau, ça peut être très fatigant.

Ceci étant posé, je tiens à saluer le travail d’écriture. Quelle claque ! Je n’ai pas trouvé cela verbeux, ayant été saisi dès les premières secondes par cet écran noir, et cette voix grave, si particulière, de mon cerveau reptilien ; puis mon système limbique prend le relais. Puis le réveil. Difficile. Il n’a pas suffi de beaucoup plus pour me convaincre que j’avais un jeu très particulier sous les yeux. Je suis curieux, d’ailleurs, d’avoir ton avis, cher lecteur : si tu as essayé ce jeu, qu’as-tu pensé de cette introduction? As-tu vécu la même expérience que moi? Parce que, de mon côté, j’ai adoré.

Disco Elysium, c’est une histoire

Je vais essayer de ne rien dévoiler de l’intrigue. Il s’agit d’une enquête de police, allié à une recherche toute personnelle : celle de l’identité du protagoniste, qui a une amnésie complète.

Le coup de l’amnésie est plutôt connu, et est très pratique : le joueur, comme le protagoniste, sont des ignorants complets du monde dans lequel ils évoluent, et peuvent de ce fait poser des questions qui, autrement, paraîtraient incohérentes.

Deux grosses enquêtes vont vous occuper : celle sur le meurtre pour lequel on vous a envoyé enquêter -vous êtes policier, après tout-, et celle sur votre identité et ce qui a pu bien pu se passer pendant votre black-out.

Cette histoire, avec le recul, n’est pas en soi à couper le souffle. Lorsque j’ai découvert qui avait abattu notre victime, je ne suis pas tombé de ma chaise. C’était satisfaisant, mais guère renversant. Par contre, découvrir comment cela s’est passé, et démêler toutes les énigmes entourant ce meurtre, ça, c’est un petit plaisir délicieux : comme de voir toutes les pièces d’un puzzle s’emboîter parfaitement.

Alors, si vous aimez les enquêtes, n’hésitez pas : foncez.

Disco Elysium, c’est une expérience de jeu

Je voulais terminer par ce point, qui me paraît être le plus important.

Dans les romans, vous avez plusieurs catégories de récit :

  • le récit de voyage (comme le Seigneur des Anneaux), qui va porter en réalité sur la découverte du monde, et pas vraiment sur les interactions entre les personnages ou leur psyché.
  • les récits centrés sur l’histoire, où les personnages voire même le monde sont secondaires et l’essentiel c’est ce qu’il se passe et ce que cela implique (les contes philosophiques sont de cette sorte, ou certaines nouvelles de Greg Egans).
  • les récits centrés sur les personnages, qui sont très à la mode dans notre littérature.

Ces récits centrés sur les personnages vont, dans les jeux vidéos, se concentrer sur les interactions entre les personnages et sur les effets que les événements vont avoir sur le protagoniste, qui va évoluer. Cela laisse de côté un autre type de récit personnel, très exploré dans la littérature : le récit « psychologique », où nous explorons les affres de la psyché humaine. Crime et Châtiment, de Dostoïevski, me paraît une très bonne illustration : le roman est surtout centré sur la psyché de Raskolnikov, et sur son évolution mentale et émotionnelle à la suite du terrible crime qu’il a commis -ses justifications, sa culpabilité, la perception de soi-même, la dissonance cognitive-).

Disco Elysium est le premier jeu, à ma connaissance, qui explore un nouveau type de « récit personnel » où les principales interactions ne sont pas forcément avec d’autres personnages ou qui dépendent d’événements qui se produisent, mais dont le moteur principal est la psyché du personnage.

Crime et châtiment est un roman polyphonique, où les consciences débattent et s’entrechoquent, jusque sous le crâne de Raskolnikov.

Disco Elysium est le Crime et Châtiment du jeu vidéo, à mes yeux. La comparaison est sans doute osée, peut-être usurpée, mais c’est celle qui s’impose à mon esprit. Une originalité, bien sûr : vous choisissez dans une certaine mesure l’évolution du personnage, et vous participez à ce concert de voix intérieures.

Tout, de la mécanique à l’écriture, en passant par l’histoire, vient participer à la mise en place de ce concert. C’est, je pense, la principale chose que l’on peut retirer de l’expérience de jeu. Pour cela, on peut saluer le studio ZA/UM.

Un jeu parfait?

Vous avez compris : je suis un enthousiaste.

J’essaie, toutefois, de rester lucide, et je ne peux que vous mettre en garde. Ce jeu n’est pas fait pour tout le monde.

Outre un bon niveau en anglais, je dois surtout vous prévenir qu’on peut, légitimement, s’interroger sur le point de savoir si Disco Elysium est un jeu vidéo. Il n’y a pas vraiment de combat, tout passe par le récit, le dialogue, le texte. Beaucoup de mécaniques traditionnellement présentes dans les RPG ne sont pas là. Vous ne jouez pas un combattant, se battre est un événement extraordinaire, anormal, et il n’y a de l’action que très ponctuellement.

Et il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de texte.

De là, on peut se demander s’il s’agit d’un jeu vidéo. Peut-être est-ce un roman animé? En tout cas, je suis curieux de ce que ZA/UM nous proposera à l’avenir. Il s’agit d’un premier jeu, rappelons-le, et je pense qu’ils peuvent encore améliorer l’expérience proposée !

Et vous? Y avez-vous joué? Qu’en pensez-vous?

 

 

2 réflexions sur “Disco Elysium, un incontournable du RPG?

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